3 octobre 2023

Clone of Interview: Sur la vieillesse

René Kuenzli

Après avoir étudié la physique et la philosophie, Ludwig Hasler (1945) a mené une double vie journalistique et académique. En tant que philosophe, il a enseigné auprès des universités de Berne et de Zurich. Depuis 2001, il est publiciste, conférencier itinérant, chargé de cours en haute école et chroniqueur. En 2019, il a publié son bestseller philosophique «Für ein Alter, das noch was vorhat. Plädoyer fürs Mitwirken an der Zukunft» (Pour une vieillesse qui a encore des projets. Plaidoyer pour participer à l’avenir). En 2022 «Jung & Alt» (jeune et vieux), un échange épistolaire avec une jeune femme de 50 ans sa cadette est également sorti de presse chez l’éditeur Rüffer & Rub. Ludwig Hasler vit à Zollikon, au bord du lac de Zurich.

Dans notre culture, le vieillissement n’a pas bonne réputation. Il est assimilé à des pertes, une lente dégradation, des déficiences physiques et souvent on en a peur. À raison ?

Ludwig Hasler : Il s’agit toujours d’une histoire de pertes. Mais en même temps, nous avons franchi un cap, nous ne devons plus nous échiner à l’atteindre car nous sommes au sec. Tout l’art consiste alors à nous réjouir de ce que nous avons atteint et de ne plus courir après les mêmes buts qu’à 46 ans.

Dans quelle mesure la philosophie peut-elle nous aider à nous épanouir et à atteindre la sérénité pendant cette tranche de vie ?

Ludwig Hasler : Parce que la philosophie nous rappelle que, sans la mort, la vie serait mortelle. Ce n’est qu’en pleine conscience de ma finitude que l’instant peut m’éblouir. Qu’est-ce que je veux : le plus de jours possibles dans ma vie ou le plus de vie possible dans mes journées ?

Quelles sont à votre avis les côtés positifs dans la vie de la « Génération Silver » ?

Ludwig Hasler : La liberté. Cette vie empreinte d’une liberté inédite après la retraite. La plupart des personnes concernées n’ont plus l’obligation de gagner leur vie et sont libérées des angoisses existentielles. Les journées nous appartiennent. La seule question qui se pose est : qu’en faire ?

Quelle est la plus grande transformation pour une personne quand il devient de plus en plus clair que la fin de la vie se rapproche ?

Ludwig Hasler : La peur de ne plus avoir d’avenir. Jusque-là, nous vivons plus dans la perspective du lendemain que dans celle de l’instant présent. Du moment que l’avenir se rétrécit, j’ai l’avantage de pouvoir me fondre avec plus d’intensité dans le moment présent.

Que pouvons-nous faire pour mettre l’accent sur ce qui va bien plutôt que sur ce qui ne fonctionne plus ?

Ludwig Hasler : Participer à la vie des autres. Les personnes âgées les plus positives que je connais ne sont pas centrées que sur elles-mêmes. Elles gèrent un bistrot de quartier, cultivent le jardin d’une dame malade, aident des écoliers en allemand ou en maths. Elles sont utiles et ne se sentent jamais superflues. Elles ne sont jamais seules.

À 79 ans, vous avez l’air en pleine forme et êtes un orateur demandé dans tout le pays. Quel est le secret de votre vitalité ?

Ludwig Hasler : Est-ce l’impression que cela donne ? C’est sans doute parce que je ne me suis jamais ménagé. Je me suis dépensé, d’abord dans le sport et la musique, puis dans la réflexion, l’écriture, les exposés, le travail, le travail, le travail – toujours sans hésiter, et miracle, mes batteries se rechargent. Comme une dynamo, la plupart du temps, mais pas toujours.

Êtes-vous heureux, pourquoi et pourquoi pas ?

Ludwig Hasler : Normalement, il me suffit d’être de bonne humeur. Je suis au clair avec ma vie. Elle a surpassé mes attentes, j’ai pu développer beaucoup de ce qui était en moi. Pour paraphraser Schopenhauer : « Il n’y a pas de bonheur sinon dans l’usage de mes forces. »

Nous devons repenser la vieillesse, c’est une phrase que vous ne cessez de répéter. Qu’entendez-vous par là ?

Ludwig Hasler : À 65 ans, mes parents étaient vraiment vieux, épuisés physiquement. La plupart d’entre nous sont très différents. Je peux donc me consacrer à un peu plus qu’à moi-même (en voyageant, en profitant des bonnes choses, en m’activant physiquement). Pas pour des raisons morales. Parce que je m’occupe le mieux de moi si je m’occupe aussi de tout ce qui m’entoure.

Quels sont les défis sociaux et politiques posés par le changement démographique ?

Ludwig Hasler : Plus de personnes âgées, moins de jeunes. Un problème actuariel délicat. Sur le plan social aussi. De la solidarité est demandée, mais dans le sens inverse, de la part des vieux à l’égard des jeunes. Est-ce qu’à 65 ans, j’opte pour la passivité et me retire pour mener une vie de rentier jusqu’à épuiser mon capital de vie pendant 25 ans ? Il vaut mieux rester acteur, non ? Pour cela, il faudrait un dialogue avec les jeunes.

Comment peut-on faire dialoguer les diverses générations et promouvoir la compréhension réciproque ?

Ludwig Hasler: Par l’intérêt. Il n’est pas nécessaire que jeunes et vieux se comprennent en toutes choses ou que la compréhension mutuelle soit généralisée. Il suffit que nous nous intéressions vivement à l’altérité des autres.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune pour un bon dialogue et de bonnes relations avec des personnes plus âgées ?

Ludwig Hasler : Cela fait trois ans que j’entretiens une correspondance publique avec une jeune femme qui a exactement 50 ans de moins que moi. Elle est la plus réussie quand elle me parle de sa vie. Premièrement, cela m’intéresse, deuxièmement j’ai alors le sentiment qu’elle me fait confiance et me prend au sérieux.

De nombreuses personnes âgées sont confrontées à la solitude. Que peuvent-elles faire pour casser l’isolement et amener plus de moments de bien-être dans leur vie ?

Ludwig Hasler : Je peux me perdre dans des choses qui ne sont pas aussi déglinguées que moi, qui demeurent vitales et essentielles, même si je vais vers ma fin. Concrètement : le vol d’un martinet, la magie de la musique, la grandeur des étoiles.

À propos de l'auteur

Ludwig Hasler, philosophe, physicien et publiciste a mené une double vie journalistique et académique. En tant que philosophe, il a enseigné aux universités de Berne et de Zurich. En tant que journaliste, il a fait partie de la rédaction en chef auprès du quotidien « St.Galler Tagblatt », puis de l’hebdomadaire « Weltwoche ». Depuis 2001, il est publiciste indépendant, conférencier itinérant, chargé de cours auprès de hautes écoles et chroniqueur. Il siège également au comité de publication du groupe CH-Media et dans la « Commission numérisation » de l’organisation faîtière économie suisse. En 2019 paraît son bestseller philosophique «Für ein Alter, das noch was vorhat. Plädoyer fürs Mitwirken an der Zukunft», et en 2022, l’ouvrage «Jung & Alt», un échange de correspondance avec une jeune femme de 50 ans sa cadette (les deux opus édités par Rüffer & Rub). Il vit à Zollikon au bord du lac de Zurich.

www.ludwighasler.ch

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